Procureur Général
(Joachim Bludoh)
Monsieur le Président, Messieurs les jurés,
cette affaire est extrêmement grave de par les faits qui sont reprochés aux prévenus : assassinat avec préméditation et guet-apens pour Edmond Mathieu, François Couillandre, Charles Lefrancois et Adolphe Bauzin et incitation au meurtre pour les chefs du syndicat des Ouvriers Charbonniers, Jules Durand, Ernest et Louis Boyer. De nombreux témoins nous ont confirmé ces faits.
Pour commencer, j'affirme que Jules Durand est bien l'instigateur de cette machination. Tout a commencé avec la grève initiée par trois personnes : Jules Durand, Ernest et Louis Boyer qui sont les chefs du syndicat des Ouvriers-Charbonniers. Cette grève a eu des conséquences néfastes des deux côtés : les ouvriers-charbonniers se sont retrouvés sans revenus, incapables de nourrir leur famille alors qu'ils vivaient dans la pauvreté la plus extrême, et la Compagnie Générale Transatlantique, n'ayant plus de main d’œuvre, ne pouvait plus satisfaire ses engagements. Cette grève a ainsi plombé l'activité du port mais également celle de la ville, qui est tellement liée à la bonne marche du port ! Oui, elle a eu également une conséquence sur son économie, et c’est extrêmement grave !
Jules Durand savait que la situation serait intenable et que l'un des deux camps finirait par céder et espérait que ce soit la CGT qui cède avant les ouvriers. Mais il n'avait pas prévu l’intervention des « renards », des ouvriers charbonniers ne suivant pas son mouvement de grève. Quoi de plus normal pour une compagnie de trouver une solution quand la plupart des employés refusaient de travailler ? Les mouvements de grève sont très virulents en ce moment et une grève au mois d'aout aurait eu de graves conséquences. Les ouvriers charbonniers qui acceptèrent de continuer à travailler étaient, contrairement aux rumeurs, des travailleurs modèles, ne vous y trompez pas Messieurs les jurés, et Louis Dongé était l'un d'eux !
Pour continuer la grève, Durand devait se débarrasser de ces « renards », en particulier de Louis Dongé, chef de bordée influent ! C'est à ce moment-là que naît l’idée terrifiante de la machination contre Dongé. ! Son plan était très simple : lors d'une réunion syndicale, lui, Louis et Ernest Boyer allaient prononcer des mots forts à l'encontre de Dongé pour inciter les ouvriers charbonniers à l'assassiner, des mots comme « supprimer », prononcé par Durand et « donner une correction » prononcé par les frères Boyer. Il y eut même un vote à main levée pour décider de la mort de Dongé ! C’est infâme et pourtant le plan réussit car quatre ouvriers à la botte de ces meneurs en furent le levier. De tels agissements constituent des crimes de complicité d'assassinat !
Être un « renard » ne plaisait pas à tout le monde et Dongé le savait bien, c'est pour cette raison qu'il détenait une arme. Malheureusement elle ne lui a pas été d'une grande utilité, il ne s'en est d'ailleurs pas servi. L'attaque qui a été menée contre lui était trop violente, inhumaine, la supériorité numérique écrasante : quatre contre un. Il est donc mort Quai d'Orléans.
Un argument souvent cité pour disculper les chefs du syndicat et atténuer le crime des quatre coupables est que les agresseurs étaient ivres. C'est justement ce qui rend cet acte horrible car Durand savait bien qu'ils seraient saouls et qu'ils ne pourraient se contrôler, qu'ils se rappelleraient les mots prononcés lors de la réunion syndicale et qu'ils iraient tuer Dongé en planifiant leur passage à l’acte. Il y avait un meneur, Edmond Mathieu, c'est lui qui a porté les coups mortels. De tels faits constituent les crimes d'assassinat avec préméditation et guet-apens, prévus et réprimés par les articles 295, 296, 297, 298 du Code Pénal.
Mais pourquoi Durand, un lettré, faisant partie de la Ligue Anti-alcoolique et de la Ligue des Droits de l'Homme, décrit comme un ouvrier modèle a-t-il fomenté tout cela ? Pourquoi un lettré a –t-il décidé lui-même de travailler au port et refusé de meilleurs emplois ? La réponse est simple : Durand est un anarchiste, la Ligue des Droits de l'Homme est un repaire de gauchistes et d'agitateurs politiques. Durand est venu travailler au port pour troubler sa tranquillité. Aujourd'hui Durand vit en concubinage avec une femme prénommée Julia, ils ne sont pas mariés mais elle attend un enfant. La femme qu’il avait épousée avant de vivre dans l’immoralité l'a quitté car il s'occupait trop du syndicat, qu’il la délaissait ! Et puis n’oublions pas toutes les disputes, tous les désaccords cruels entre son père et lui, son père, ouvrier traditionnel sérieux qui souffrait tant de voir sa progéniture s’égarer ! Ses proches avaient donc hélas remarqué ses intentions anarchistes mais ne purent rien contre son entêtement !
Parce qu'il y a eu un meurtre prémédité par les quatre ouvriers charbonniers et parce que les meurtriers ont été incités par Durand, faits prévus et réprimés par les articles 295, 296, 297, 298 du Code Pénal, le Ministère Public requiert la peine de mort pour Jules Durand, quinze ans de travaux forcés pour Edmond Mathieu car il était le meneur et huit ans de travaux forcés pour les autres accusés François Couillandre, Charles Lefrancois et Adolphe Bauzin. Louis Boyer et Ernest Boyer doivent être acquittés, car ils ont été eux aussi incités par Durand, et qu’il était facile pour lui de leur faire dire des choses qu'ils ne voulaient pas !
Examinez les faits Monsieur le Président, ne vous laissez pas égarer par ce que les uns ou les autres pourraient avancer pour diminuer les responsabilités de ces criminels !
Procureur général
(Ines Belaidi)
Mesdames, Messieurs,
Nous sommes ici pour traiter l'affaire accusant Jules Gustave DURAND du meurtre de Louis DONGE.
La nuit du 9 Septembre 1910, Louis DONGE, ouvrier charbonnier s'est fait tué sur le Quai d’Orléans du port du Havre.
Ce meurtre a été prémédité par Jules Gustave DURAND, secrétaire du syndicat des ouvriers charbonniers du port du Havre et Albert MATHIEU à porté les coups mortels.
La victime portait sur elle un revolver, elle savait qu'elle n'était pas en sécurité et craignait pour sa vie. Louis DONGE ressentait le besoin de se défendre. Est-ce normal, dans la République Française d'avoir besoin de cacher à sa femme la possession d'une arme personnelle pour se défendre ? Il avait hélas raison. Quatre hommes étaient ce soir là, cachés sur le port du Havre, buvant en patientant jusqu'à l'arrivée de Louis DONGE. Edmond MATHIEU, François COUILLANDRE, Charles LEFRANCOIS et Adolphe BAUZIN ici présents attendaient Louis DONGE pour le tuer. Un guet-apens, mesdames et messieurs est qualifié par l'article 298 du Code Pénal par le fait d'attendre plus ou moins de temps, dans un ou divers lieux, un individu, soit pour lui donner la mort, soit pour exercer sur lui des actes de violences. Il y a eu guet-apens cette nuit du 9 septembre 1910 sur le port du Havre.
Les témoins disent avoir entendu Jules DURAND dire, pendant une réunion du syndicat, vouloir éliminer Louis DONGE, Messieurs X et Y nous ont affirmé plus précisément que Monsieur DURAND a prononcé cette phrase « il faut supprimer Louis DONGE ». Ce dernier refusait de faire grève, il devait subvenir aux besoins de sa famille et a refusé de suivre l'exemple de Jules DURAND et de ses camarades. Ce dernier a prémédité le meurtre, il a demandé à ces collègues charbonniers Edmond MATHIEU François COUILLANDRE, Charles LEFRANCOIS et Adolphe BAUZIN de tuer Monsieur DONGE. Pour le bon déroulement de la grève Monsieur DURAND ici présent avait besoin d'éliminer Louis DONGE. L'article 296 du Code pénal est très clair Mesdames et Messieurs, tout meurtre commis avec préméditation ou guet-apens est qualifié d'assassinat. Jules DURAND est un assassin.
N'oublions pas Mesdames et Messieurs, que Jules DURAND est celui qui a incité tous ces collègues ouvriers charbonniers sur le port du Havre à faire grève. Grève qui a immobilisé l'activité économique du port, et par conséquent l'activité économique de la ville du Havre pendant plus de 20 jours. Jules DURAND a demandé à des ouvriers qui gagnent un salaire déjà modeste de priver femmes et enfants de cet argent. Cette grève a eu des répercussions certaines sur l'économie du Havre, cette grève sollicitée par Monsieur Jules DURAND. J'appelle donc à la barre Monsieur DUCROT, directeur de la Compagnie Générale Transatlantique « Monsieur, pouvez-vous nous parler des conséquences qu'a eu cette grève sur l'activité portuaire du Havre ? » « Pour essayer de pallier à ces torts, qu'avez-vous du faire ? » « Une dernière question Monsieur DUCROT, pouvez-vous nous parler du Tancarville ? »
Attendu qu'un crime a été commis, que la loi a été violée, qu'un homme a été tué Mesdames et Messieurs les magistrats. L’État requiert, la condamnation à mort de Jules DURAND pour avoir été le commanditaire d'un meurtre avec guet-apens. La prison à perpétuité pour Monsieur MATHIEU pour avoir porté les coups mortels et 20 ans d'emprisonnement dont 15 ans ferme pour Messieurs COUILLANDRE, LEFRANCOIS et BAUZIN pour complicité de meurtre avec préméditation et guet-apens sont donc demandés.